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Une évolution qui va (enfin) dans le bon sens

Je vais vous parler d’un temps que même les moins de vingt ans peuvent connaître. En ce temps-là, les dinosaures étaient morts et bien morts : si l’on voulait les voir, il fallait se rendre dans un musée de paléontologie. On n’avait pas la moindre chance d’en croiser un dans une rue de Paris ou de Stains. En d’autres termes, le temps dont je vais vous parler, c’est le nôtre.

Il y a une semaine, je me promenais sur le boulevard Saint-Michel, sans angoisse puisque je savais n’avoir pas la moindre chance d’y croiser un tyrannosaure. Ce n’est pas un T Rex que j’ai rencontré, en effet, mais quelque chose de probablement aussi angoissant. Au coin du boulevard Saint-Michel et de la place de la Sorbonne, vous vous rappelez tous ce qu’il y avait ; vous êtes passés des centaines de fois devant ; entrés aussi, probablement, quand vous étiez étudiants ; vous y avez même acheté des livres. Au coin du boulevard Saint-Michel et de la place de la Sorbonne, sur trois étages, se trouvaient les Presses Universitaires de France, « les PUF ». La librairie des étudiants, des professeurs, celle où l’on trouvait, entre autres, la collection complète des Que sais-je ? Une sorte de monument de la culture. D’une certaine forme de culture.

Eh bien, il y a une semaine, au coin du boulevard Saint-Michel et de la place de la Sorbonne, ce que j’ai vu, ce n’est pas l’enseigne des Presses Universitaires de France mais celle de Nike. Non, vous ne rêvez pas. Et si vous ne me croyez pas, allez-y voir vous-mêmes. La culture du livre a cédé la place à celle des chaussures et des maillots fabriqués au Pakistan par des gosses qui, si on leur demandait leur avis, répondraient sans doute, les idiots, qu’ils aimeraient mieux lire… Sur la place de la Sorbonne, désormais, en sortant de l’amphi Richelieu ou de l’amphi Descartes, vous pourrez vous cultiver en entrant au Nike Store, « spécialisé dans running et women » ; et attention, on ne se moque pas de vous, « ce magasin est encore plus premium que celui de New York » qui était, le malheureux, « un magasin de running seulement » ; on y organisera « des running sessions » et vous n’aurez rien à craindre puisqu’il dispose d’un « service de locker » ; j’ose à peine ajouter, de peur qu’une telle perspective de bonheur provoque en vous une accélération exagérée de votre rythme cardiaque, que « le Nike+ FuelBand SE » (j’ai bien dit SE, vous voyez qu’on ne cherche pas à vous fourguer n’importe quoi) « est en vente dans ce magasin », et qu’ « il faut savoir que c’est une chance extraordinaire ». Quant aux personnalités que vous pourrez y rencontrer, je vous conseille tout particulièrement Stevie, « très branché sport et communautés » et Greg qui « aime surtout faire des runs et ne supporte pas de ne pas atteindre l’objectif journalier de son fuelband ».

Voilà, me semble-t-il, de quoi clouer le bec aux éternels râleurs, comme Monsieur Bouchet, qui essaient de vous faire croire qu’on peut se cultiver, apprendre, évoluer, devenir meilleur grâce aux livres. Devenir meilleur ? Mais meilleur en quoi ? Est-ce que Montaigne nous permet de perfectionner nos runs ? Y a-t-il chez Maupassant le moindre conseil susceptible de nous aider à atteindre l’objectif journalier de notre fuelband ? Victor Hugo lui-même, malgré tous ses efforts pour nous en faire accroire, arrivait-il à la cheville de Stevie pour ce qui est d’être branché sport et communautés ?

Allons, il faut se rendre à l’évidence. Le monde change. En bien, cela va sans dire. Oublions les livres ennuyeux, brûlons-les au besoin – on trouvera pour cela une recette efficace dans les archives nazi, à la date du 10 mai 1933 –, et runnons en chœur, mes frères. N’est-ce pas un excellent moyen de nous laver le cerveau ?

Christian Bouchet, 1er janvier 2014

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